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22.1.06

L'Ange et le Diable: Paolo Pandolfo à Dumbarton Oaks

Cet article est une traduction d'un compte rendu que j'ai écrit en anglais. If you want to read this review in English, go here.

A voir sur Ionarts:

Musica Alta Ripa at Dumbarton Oaks (May 10, 2005)

Dumbarton Oaks (May 9, 2005)
Les Amis de la Musique (The Friends of Music), sous la direction de Mme. Valerie Stains, offrent une excellent série de concerts dans le milieu extraordinaire de Dumbarton Oaks, le bijou de Georgetown. Jadis une maison privée, ce manoir magnifique appartient actuellement à l'Université de Harvard, mais le musée et les jardins qu'il abrite sont encore une autre richesse dans la couronne culturelle de Washington. La célèbre Salon de Musique à Dumbarton Oaks, où j'ai entendu un concert du Musica Alta Ripa en mai dernier, se trouve dans l'immeuble central du musée, actuellement un chantier de rénovation. Du coup, les concerts ont lieu, pendant une période limitée, dans le réfectoire de l'ancienne Maison du Directeur. C'est une petite salle étroite et intime qui accueille une centaine de spectateurs. Samedi soir, je me suis trouvé juste en face du musicien principal du soir, le viole-de-gambiste Paolo Pandolfo. De cet excellent point de vue je pouvais voir et entendre très bien l'instrument précieux dans les mains de Pandolfo, une viole fabriquée dans le 17e siècle et presque sans restauration ou modification pendant son longue histoire. (Il paraît que Pandolfo ait perdu un instrument qui lui appartenait avant, une viole italienne du 17e siècle, quand on lui l'a volée dans un train en Allemagne.)

Paolo Pandolfo, viola da gambaPaolo Pandolfo jouait avec le meilleur gambiste de notre époque, Jordi Savall, et le groupe Hesperion XXI. Il a eu une carrière solo depuis, et il enseigne et dirige son propre ensemble. Avant son travail avec Savall, au Schola Cantorum Basiliensis (Basel, Suisse), Pandolfo faisait des études avec Enrico Gatti et Rinaldo Alessandrini, et il a fait des enregistrements avec Savall, Alessandrini, et Fabio Biondi. C'est un CV impeccable, et samedi soir les attraits de son jeu étaient bien évidents, pendant ce tour de la musique des trois géants de la viole française.

L'art de la viole de gambe était principalement l'invention d'un grand maître de la dernière moitié du 17e siècle, Monsieur de Sainte-Colombe. Il était fort mais aussi jaloux des secrets de son art. L'excellent film Tous les matins du monde a montré la scène, quasiment historique, avec le jeune musicien Marin Marais qui, aussi rusé qu'Ulysse, se cachait dans l'atelier de son maître sévère pendant une répétition pour apprendre son art à fond. La première moitié du concert était une mélange des œuvres du maître et de son étudiant.

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J. S. Bach, Six Suites for Unaccompanied Cello, arranged for viola da gamba, Paolo Pandolfo
Les pages de musique sur le pupitre de Pandolfo, visible de mon siège, étaient des facsimilés des manuscrits de Sainte-Colombe. Sous le titre Pièces de viole, ils présentent une sélection de ses meilleurs œuvres, parmi lesquelles Pandolfo a choisi une suite typique, dont la forme -- Prélude, Allemande, Courante en triple mesure, Sarabande, Gigue, Chaconne -- est la fondation d'un genre. La viole est un instrument compliqué, avec six cordes auxquelles Sainte-Colombe en a ajouté une septième, très basse, qui prend une rôle importante dans sa musique. Tout de suite, Pandolfo a montré sa maîtrise des agréments complexes, des mélodies contrapontiques en fragments, et des arpèges de ce répertoire. Déjà Sainte-Colombe utilisait la plupart des sons si extraordinaires dans les suites de violoncelle de Bach, dans la même époque de la naissance de Bach. (En fait, Paolo Pandolfo a enregistré les suites de Bach, ou plutôt sa transformation de ces suites, parfois pas exacte, sur la viole. J'ai besoin d'une seconde audition de ce disc.) La chaconne finale de cette suite, basée sur l'omniprésente basse descendante de quatre notes (voir mes autres comments sur la chaconne ou passacaille ici et ici), était hypnotique dans les mains de Pandolfo, comme une litanie ou rite magique.

Sauf le prélude, Thomas C. Boysen a joué avec Pandolfo, avec soit sa guitare baroque ou théorbe, et une jeune claveciniste française, Marie Gelis. Les deux ont bien contribué, mais Pandolfo était la voix centrale de cet ensemble. Dans ce rôle et avec beaucoup d'humour, il nous a introduit les deux morceaux célèbres de Marin Marais, avec d'abord La Labyrinthe, une suite descriptive qui raconte une mélodie naïve en la majeur qui se perd dans une labyrinthe de tonalités étrangères. L'ensemble dirigé par Pandolfo, Labyrinto, a pris son nom, je crois, de ce morceau de musique. C'est une musique tout à fait baroque -- dramatique, spirituelle, pétillante, toujours changeante, et pénétrée de la danse -- et visiblement chère à Pandolfo. Accompagné du théorbe et le clavecin, la mélodie perdue de Pandolfo se lancait en exulation, se plaignait et frissonnait en désespoir, demandait, répondait, errait partout. Le jeu de Pandolfo était un exemple excellent du pouvoir expressif, presque vocal, de la viole. A la fin, c'était un plaisir de suivre cette pauvre mélodie par une petite glissade pour retrouver la majeur. La chaconne finale, une basse énigmatique différente de la tétracorde traditionelle en mineur, était merveilleuse. L'hommage musical de Marais à son maître disparu, le Tombeau de Mr. de Sainte-Colombe, dans lequel on remarque des passages qui citent des œuvres du maître, a bien terminé la première moitié du concert.

Thomas Boysen nous a donné deux morceaux pour théorbe au commencement de la deuxième moitié, un prélude et une chaconne en rondeau de Robert de Visée, le professeur de guitare et luteniste de Louis XIV (ou comme Boysen a dit, avec beaucoup de charme en anglais accenté, "Ludwig XIV"). Le travail de ce compositeur était de suivre le Roi de France pendant sa journée, en marchant derrière lui ou assis près de lui, et de jouer pour divertir l'oreille royale. Boysen a nommé de Visée "le premier Walkman du monde," une blague qui a fait beaucoup rire. Cette chaconne était la troisième de quatre chaconnes du concert. Toujours intéressante et très bien jouée, cette musique était inférieure aux morceaux des maîtres de la viole, indiquant que les rigeurs du poste occupé par de Visée n'étaient probablement acceptable qu'à un compositeur de petit talent.

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Antoine Forqueray, Pièces de Viole avec la Basse, Book 1, Suites 1-5, Paolo Pandolfo, with Guido Balestracci, Eduardo Eguez, Rolf Lislevand
Ce n'était pas du tout le cas avec le dernier compositeur du concert, Antoine Forqueray, l'Ange que l'on opposait au Diable de Marais, à cause de la complexité infernale de certains passages de sa musique pour la viole. Cependant, au milieu du 18e siècle, quand Forqueray était au sommet de sa carrière, la viole perdait sa popularité. Dans les morceaux choisis par Pandolfo des première et troisième suites de Forqueray, j'avais parfois l'impression d'un musicien et compositeur redoutable faisant trop d'effort pour nous impressioner. Cette musique est hyper-complexe et variée, et la fonction descriptive se voit dans les titres, qui ne sont plus que des noms de danses mais des noms de femmes, comme des portraits. (L'enregistrement de Pandolfo des cinq suites de Forqueray n'est plus disponible aux Etats-Unis.) Dans cette exécution, les trois musiciens échangeait les motifs d'une façon charmante, avec un joli contraste de couleurs et de timbres. Cette chaconne, nommée La Morangis, utilise une tétracorde descendants en majeur, avec une longue partie au milieu en mode mineur. Elle était d'une harmonie inventive, formant une belle conclusion à ce concert de beauté extrême.

Pour trouver les enregistrements de Paolo Pandolfo, y inclus les œuvres mentionnés ici, il faut s'adresser directement à Glossa. J'aimerais beaucoup les écouter tous.

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